Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blog de Julien Hoarau
Le Blog de Julien Hoarau
Publicité
Albums Photos
Le Blog de Julien Hoarau
15 décembre 2005

Le comique est il encore l'arme absolue

Ce qui comble l'histoire du jeu de mots, c'est qu'elle ne fait pas rire. Cet art de table indispensable à tout notable voulant se faire voir du roi fût emporté avec ses têtes par la révolution française. Victime des refontes du système, privé de ses bourses régulières devant une Marianne triomphatrice sur le parvis de la Bastille, l'impuissant troubadour, ordonnateur ridicule de ces oratoires discursifs dû se résoudre, faire une coupe sur le roi, c'est le mot d'esprit à payer pour promulguer la République…

La violente disparition de la noblesse française et de ses partouzeurs intellectuels a fait perdre un temps la verve poétique de l'art comique à notre société. Lorsqu'une certaine censure moribonde disparaît, c'est en effet une partie du patrimoine humoristique qui s'effondre. Beaumarchais, Marivaux et Molière qui se servaient d'un excellentissime sens de la phrase pour non seulement taquiner l'opulente aristocratie mais aussi pousser le peuple à faire chuter l'ancien régime laissaient place aux poésies ternes et sans vie d'une France qui se cherche. Une entracte de quelques mois, Robespierre prend ses marques et bientôt la scène se fige. La révolution semble ne pas avoir réellement fait évoluer les choses. Fine plume, Hugo dénonce avec humour une France napoléonienne et immobile. Un siècle plus tard, le coup de grisou, la mauvaise mine, la seconde révolution crée la machine, très justement le jeu de mot prend froid et Charlie Chaplin s'élève avec lui. Aphone, gesticulant, mais bien vivant, le mot d'esprit se démembre et s'articule, télévision oblige, il se médiatise.

Le monde se pavane devant ce pantin arriviste et antisémite qui se joue de la SDN, tandis que l'ouvrier se démène dans l'infernale chaîne productive. Les multiples diffusions n’assomment personne, une seconde guerre mondiale, Ford dicte sa loi, le comique n'est plus l'arme absolue.

Dire presque tout et le dire comme on veut, est devenu le leitmotiv de notre société contemporaine. Plus besoin d'user de facéties humoristiques ou de mots d'esprit tordus pour exprimer son mépris à la bureaucratie environnante ; il suffit juste de dire les choses pour être entendu. Le résultat est éloquent : philosophes , historiens, économistes, autant de têtes bien pensantes délivrant un message censé, mais qui n'oublient jamais de se prendre au sérieux.

Coluche, probablement, le dernier français de sa catégorie a réussi là où d'autres s'étaient cassés les dents en réunissant sur une même longueur d'onde la bourgeoisie de Gaulle et le peuple de France. Dynamiteur de la discrimination économique et assimilateur d'une société dualiste, l’artiste a battu en brèche les oppositions culturelles et souffler la vedette aux poids lourds de la politique en défendant le pauvre mieux que personne.

Seulement voilà, la popularité de cet humour, qui n'est plus le privilège absolu de la nouvelle société élétiste n'a plus vraiment l'effet escompté. Appâté par les gains, les rires béa de Drucker et une nouvelle génération passive et blasée, le nouveau comique nous titille bien la rate mais pas l'esprit. On rit facilement des contrepétries d'Eric et Ramzy, des jeux de mot d'Albert Meslay. On les remercie comme on remercie Timsit, Bigard, Bedos, ces Nuls et ces Inconnus mais on se désole devant leur manque de motivation. N'ont t'ils pas oublier leur part de responsabilité devant l'opinion publique ? Même si les problèmes d'intégration sont les thèmes récurrents des comiques du moment. Même si la justesse du ton, de très bonnes caricatures rappellent constamment le malaise actuel, on regrette ces jeux de mots tapageurs, insolents ou encore ameuteurs…Pour cause, la critique de la société ne parle plus. Elle s'arrête là où elle commence à faire rire, dans l'absurde et le futile. Porté par un public payeur de ce genre de faits, le comique s'est guéri du virus contestataire, il demeure simplement un amuseur publique qui soulage du pessimisme intellectuel moderne, en proférant un burlesque facile mais un burlesque débile.

Le comique a le privilège absolu de se faire entendre. L'avènement du One Man show a fait œuvre de détruire ce pourquoi il était fait en le rendant peut être plus accessible par soucis de facilité. Même si Luchini ou Desproges jouent avec le style, ils ne font que camoufler un manque de pertinence. Si nous voulons retrouver aujourd'hui de nobles bouffons, il vaudrait mieux cesser de les montrer du doigt. . Si Bernard Henry Lévy se mettait à faire rire, n'aurait 'il pas les moyens de diffuser son message philosophique au delà du microcosme de ses adulateurs bac + 8 ? Or c'est précisément ce que les guignols de l'info tentent de faire tous les soirs, humaniser et populariser par la rire le message intellectuel. Même si parfois le cynisme frôle l'excès, il n'en constitue pas moins un véritable éveil cérébrale. Lorsque les guignols font mal, c'est qu'ils touchent justement le fond des choses, ce fond des choses qui fait réellement défaut à notre paysage humoristique. Le retour de l'arme absolue passe par la reconnaissance de cet art, cet art si justement décrie par Bergson, cet art de faire rire.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité